Le concept de douleur référée est depuis longtemps accepté dans la littérature scientifique et est un phénomène fréquemment rencontré en pratique clinique. En effet, nous savons qu’un grand nombre de structures somatiques rachidiennes peuvent provoquer des douleurs dans les articulations périphériques, comme par exemple les structures somatiques cervicales et l’épaule, ce qui complique souvent le diagnostic clinique  (Katsuura et al. 2019).

De nombreuses théories ont tenté d’expliquer ce concept, mais seulement deux d’entre-elles semblent se démarquer pour nous apporter une réponse. 

La première théorie est celle de la projection de convergence, et met en lumière la convergence des afférences nociceptives sur les neurones de deuxième ordre dans la moelle épinière. Cette convergence provoque la sensation de douleur dans différentes zones du corps (Jin et al., 2023). Si nous voulons expliquer ce phénomène plus simplement, imaginez simplement que votre corps est similaire à une maison et que dans cette dernière se trouvent des câbles électriques qui nous envoient des signaux pour nous dire que quelque chose fait mal. Maintenant, imaginez que certains de ces câbles peuvent parfois s’emmêler et nous « tromper », nous pourrons donc parfois ressentir la douleur à un endroit différent de l’origine du problème.

La seconde théorie met en avant les « fibres afférentes dichotomisantes » qui se ramifient vers les zones de dysfonction primaire et les zones projetées. Lorsque qu’une lésion primaire stimule ces fibres dans les régions profondes, elles déclenchent une réaction en chaîne et activent un arc réflexe vers les muscles par le biais de fibres efférentes somatiques (Jin et al.,2023). Cette théorie est soutenue par des études qui ont identifié des axones dichotomisants entre le disque intervertébral lombaire et la région de l’aine (Sameda et al. 2003). Un exemple assez simple pour comprendre ce phénomène est d’imaginer notre corps comme un train qui transporte des informations. Parfois, il y a des endroits spéciaux où le train se divise en deux chemins différents. L’un de ces chemins va dire à notre cerveau s’il y a un problème dans une partie de notre corps, comme un muscle par exemple. L’autre chemin, lui, peut aller à un endroit différent de notre corps et causer de la douleur à cet endroit, même si le problème est ailleurs. C’est un peu comme si ce train était « confus ».

Malgré la connaissance de ce phénomène par bon nombre de cliniciens, un manque de consensus est présent quant à l’examination du rachis cervical par les cliniciens lorsqu’ils qu’il prennent en charge des patients avec des douleurs d’épaule (Walker et al. 2019 ; Walker et al. 2020). Le but de cet article est de vous donner des pistes concernant l’évaluation de la colonne cervicale quand vous examinez des patients se présentant avec une douleur de membre supérieur.

  1. L’importance de la localisation de la douleur.

Lors de votre évaluation, il sera capital de bien déterminer la localisation de la douleur du patient. En effet, connaître les patterns de douleurs projetées de certaines articulations est extrêmement important, cela vous permettra de diminuer ou d’augmenter la probabilité d’un certain diagnostique rien qu’en étant précis dans la localisation des symptômes.

Pour ce faire, il sera important d’utiliser des questions « d’inclusion» et des questions « d’exclusion ». Voici quelques exemple de questions qui pourront vous aider à clarifier certaines situations cliniques : 

  • « Avez-vous des douleurs au niveau de l’omoplate ? »
  • « Avez-vous des douleurs dans le cou ? Dans le bras ? Dans l’avant-bras ? Dans la main ? »
  • « Avez-vous des fourmillements/picotements dans les doigts ? »
  • « Avez-vous également mal de l’autre côté ? »

Toutes ces questions vous permettront d’obtenir un maximum d’informations concernant la localisation la plus probable de la douleur du patient (cervicales, gléno-humérale, acromio-claviculaire, coude, poignet, main ) et donc de pouvoir ensuite utiliser votre raisonnement clinique pour peaufiner vos autres questions afin qu’à la fin de votre anamnèse, vous ne devriez hésiter qu’entre deux, maximum trois possibilités diagnostiques. 

Prenons l’exemple de l’étude de Gerber (1998), dans laquelle 10 volontaires sains ont reçu une injection d’une solution saline dans l’articulation acromio-claviculaire (15 injections faites au total) et 9 volontaires sains en ont reçu une dans l’espace sous-acromial(10 injection faites au total). Les résultats des patterns de douleurs projetées chez les patients ayant subi une injection acromio-claviculaire étaient que la totalité des patients ayant reçu une injection avaient une douleur locale, et 80% d’entre-eux d’écrivaient avoir eu mal au niveau de la fosse sus-épineuse , du trapèze supérieur et de la partie latérale de la clavicule (figure 1). Si nous comparons maintenant ces résultats à ceux des injections sous-acromiales, nous constatons que seulement 20% des patients a décrit des douleurs présentes dans le trapèze supérieur et aucun dans la nuque (figure 2). 

De plus, l’étude de Kennedy (2015), pendant laquelle 168 articulations gléno-humérales de 162 patients souffrant de douleurs de membre supérieur ont été injectées nous donne aussi des informations intéressantes. En effet, chez les patients ayant été soulagés à 100% par les injections de l’articulation gléno-humérale, seulement 18% avaient des douleurs sur le côté latéral de la nuque, contre 1% avec des douleurs de nuque au niveau médial. Ensuite, seulement 3% de ces patients avaient de douleurs médiales au niveau de la scapula (figure 3).

Ces informations peuvent donc nous être utiles quand nous examinons un patient, en effet, leur demander si ils ont des douleurs au niveau de l’omoplate peut être une excellente manière de diminuer fortement la probabilité d’un problème d’épaule quand on sait que pratiquement aucun de ceux ayant une pathologie gléno-humérale n’en avait, et qu’aucun patient injecté dans l’acromio-claviculaire ou l’espace sous-acromial n’en souffrait non plus, tandis que nous savons depuis plus de 50 ans que la colonne cervicale, elle, est une cause très fréquente de douleur référée dans la zone scapulaire (Cloward, 1959) (figure 4). Cependant, si un patient nous répond qu’il a également des douleurs irradiées au niveau du trapèze supérieur, nous ne pourrions pas systématiquement déduire qu’il a un problème cervical et nous allons devoir utiliser d’autres outils de raisonnement clinique afin de différencier entre un problème rachidien et un problème acromio-claviculaire ou, dans une moindre mesure, un problème gléno-huméral.

    2. Indices dans l’histoire du patient

Une étude de Rastogi et al.(2022) a exploré quels indices pourront nous permettre de savoir la probabilité d’implication du rachis chez les patients souffrant de douleurs périphériques et ils ont trouvé des indices relatifs à l’anamnèse et à l’examen physique.

Pendant l’anamnèse, et surtout après avoir bien déterminé la localisation des symptômes, il sera important d’être attentif à certains détails qui pourraient nous indiquer une probabilité d’implication cervicale plus importante.

Ces indices sont : 

  • La présence de paresthésies dans la plainte du patient ;
  • L’influence de la position assise prolongée sur son problème
  • L’influence des mouvements/ positions penchées de la tête ou des rotations sur ses symptômes.

La présence, ou l’absence de ces signes nous permettront une fois de plus d’augmenter ou de diminuer la probabilité d’implication de la colonne cervicale dans la plainte le patient. Il est également intéressant de demander au patient si il a des antécédents de problèmes cervicaux, mais aussi d’être à l’écoute du contexte du patient, de son métier et de ses loisirs afin d’essayer de comprendre les charges quotidiennes auxquelles il est soumis, ou si il a changé ses habitudes par rapport à certaines choses, ce qui pourrait expliquer l’apparition de certains symptômes. 

    3. Indices dans l’examen physique

Lorsque nous examinerons physiquement un patient, d’autres indices nous permettrons de savoir si nous allons devoir passer beaucoup de temps à examiner la colonne cervicale ou non.

Ces indices sont : 

  • L’influence de la modification de posture assise sur les symptômes du patient ;
  • La présence de pertes d’amplitudes cervicales ;
  • L’absence de pertes d’amplitudes dans l’articulation périphérique.

D’après l’étude de Rastogi et al. (2022), la probabilité d’implication du rachis dans la plainte du patient est de 73% si au moins deux indices sont présents lors de notre bilan, et cette probabiltié augmente de manière exponentielle avec le nombre d’indices retrouvés lors de l’examination.

Le bilan MDT-McKenzie, comment ça marche ?

Lorsque le clinicien MDT examine un patient, il utilisera d’abord toutes les informations récoltées lors de l’anamnèse pour savoir entre quelles zones du corps il va devoir faire un diagnostic différentiel. 

Pour ce faire, le clinicien utilisera ce que l’on appelle des « marqueurs ». Ces derniers peuvent être des tests d’amplitude active, passive, des tests résistés ou des tests orthopédiques. Il est important de noter que ces tests orthopédiques ne seront utilisés que pour avoir des marqueurs standardisés et pas pour nous apporter un quelconque diagnostique. En effet, il est clairement indiqué dans la littérature que ces tests seuls n’ont aucune valeur diagnostique (Salamh et al. 2020). De plus, les résultats de ces tests peuvent être facilement modifiés quand nos patients présentent un « syndrome de dérangement » (Heydar Abbady et al.2018).

 Un syndrome de dérangement est défini comme une présentation clinique qui présente une préférence directionnelle en réponse à des contraintes mécaniques et qui est typiquement associée à une perte de mouvement (définition du McKenzie Institute International, 2020). 

 La préférence directionnelle, elle, décrit le phénomène clinique selon lequel une direction spécifique d'un mouvement répété et  ou d'une position maintenue entraîne une amélioration cliniquement significative des symptômes. Cette amélioration s'accompagne généralement d'une amélioration de la fonction ou de la mécanique, ou des deux. Sa présence et sa pertinence sont déterminées au cours de 2 ou 3 visites (définition du McKenzie Institute International 2020)

Une fois nos marqueurs périphériques pris, le bilan de la colonne cervicale est effectué. Le temps que le clinicien passera sur ce dernier dépendra de son index de suspicion préalablement établi en fonction des indices détaillés précédemment. Notez qu’il est quand même toujours important d’examiner au moins le plan sagittal, et ce en allant jusqu’au mobilisations car environ 46% des patients présentant des douleur isolées d’épaule avaient quand même une origine cervicale (Rosedale et al. 2019).

Il est également important de ne pas prendre trop de marqueurs (maximum 3) afin de ne pas créer de confusion pendant l’examination. Il est également crucial que nous choisissions nos marqueurs en fonction de la plainte principale du patient afin d’être le plus centré sur son problème possible.

Si les marqueurs périphériques sont changés significativement (pour nous, mais surtout pour le patient) après le bilan de mouvements répétés cervicaux, nous pouvons donc provisoirement conclure que la cause de la plainte du patient se trouve au niveau du rachis cervical. 

À l’inverse, si aucun changement (ou un changement très marginal) n’est perçu par le patient, alors il sera important d’examiner et de classifier l’articulation périphérique par un test de mouvements répétés.

Quelles sont les répercussions de ce type d’approche pour nos patients ?

Utiliser une approche systématique comme celle proposée par le système MDT-McKenzie permettra à vos patients d’obtenir une évaluation rigoureuse de leur problème, ce qui leur permettra de mieux comprendre leur pathologie en étant impliqué dans leur processus d’évaluation. Bon nombre d’entre-eux nous disent au quotidien qu’ils ont rarement (voire jamais) été examiné de manière si complète et rigoureuse.

De plus, lorsque la cause du problème du patient a été objectivée, les résultats qui s’en suivront seront généralement très rapides et convaincants pour ce dernier, ce qui boostera son implication dans le traitement et sa confiance en nous. 

Références :

  • Katsuura, Y., Bruce, J., Taylor, S., Gullota, L., & Kim, H. J. (2020). Overlapping, Masquerading, and Causative Cervical Spine and Shoulder Pathology: A Systematic Review. Global spine journal, 10(2), 195–208.
  • Jin, Q., Chang, Y., Lu, C., Chen, L., & Wang, Y. (2023). Referred pain: characteristics, possible mechanisms, and clinical management. Frontiers in neurology, 14, 1104817.
  • Sameda H, Takahashi Y, Takahashi K, Chiba T, Moriya H. Dorsal root ganglion neurones with dichotomising afferent fibres to both the lumbar disc and the groin skin. J Bone Joint Surg Br. (2003) 85:600–3.
  • Walker T, Salt E, Lynch G, et al. Screening of the cervical spine in subacromial shoulder pain: a systematic review. Shoulder Elbow. 2019;11(4):305–315.
  •  Walker T, Cuff A, Salt E, et al. Examination of the neck when a patient complains of shoulder pain: a global survey of current practice. Musculoskeletal Care. 2020;18(3):256–264.
  • Gerber, C., Galantay, R. V., & Hersche, O. (1998). The pattern of pain produced by irritation of the acromioclavicular joint and the subacromial space. Journal of shoulder and elbow surgery, 7(4), 352–355.
  • Kennedy, D. J., Mattie, R., Nguyen, Q., Hamilton, S., & Conrad, B. (2015). Glenohumeral Joint Pain Referral Patterns: A Descriptive Study. Pain medicine (Malden, Mass.), 16(8), 1603–1609
  • Cloward R. B. (1959). Cervical diskography. A contribution to the etiology and mechanism of neck, shoulder and arm pain. Annals of surgery, 150(6), 1052–1064
  • Rastogi, R., Rosedale, R., Kidd, J., Lynch, G., Supp, G., & Robbins, S. M. (2022). Exploring indicators of extremity pain of spinal source as identified by Mechanical Diagnosis and Therapy (MDT): a secondary analysis of a prospective cohort study. The Journal of manual & manipulative therapy, 30(3), 172–179
  • Salamh, P., & Lewis, J. (2020). It Is Time to Put Special Tests for Rotator Cuff-Related Shoulder Pain out to Pasture. The Journal of orthopaedic and sports physical therapy, 50(5), 222–225.
  • Heidar Abady, A., Rosedale, R., Chesworth, B. M., Rotondi, M. A., & Overend, T. J. (2018). Consistency of commonly used orthopedic special tests of the shoulder when used with the McKenzie system of mechanical diagnosis and therapy. Musculoskeletal science & practice, 33, 11–17
  • Rosedale R, Rastogi R, Kidd J, Lynch G, Supp G, Robbins SM. A study exploring the prevalence of Extremity Pain of Spinal Source (EXPOSS). J Man Manip Ther. 2020;28(4):222-230.

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